Journal de bord n°4 - Caractéristiques constructives et thermiques des bâtis urbains construits avant 1948
Dans le cadre de l’étude « Adapter le bâti ancien aux enjeux climatiques », nous nous intéressons aux immeubles mitoyens qui composent le tissu des centres urbains. Ces bâtiments sont les témoins d’une géographie, d’une géologie et d’une histoire propres au site d’implantation de chaque ville. En Bourgogne-Franche-Comté, on trouve différentes manières de construire selon les époques, les ressources présentes localement ou les dynamiques commerciales (routes, rivières). Cependant, des points communs se dégagent comme le recours à des pans de toitures à fortes pentes formant des hauts combles couverts de tuiles plates ou l’emploi de pierre calcaire en maçonnerie. Ce bâti ancien constitue un patrimoine qui présente des qualités diverses : esthétiques, économiques et climatiques. À l’initiative des habitants et des institutions en place, la construction des centres anciens a fait preuve d’une logique constructive afin de gérer au mieux les ressources qui pouvaient être rares, tout en veillant à se protéger efficacement des éléments extérieurs.
Une logique constructive et climatique
Construit au fil du temps, le long des routes, des places ou des cours d’eau, le bâti des centres anciens tire généralement parti du site sur lequel il s’implante, d’abord par l’utilisation des matériaux de proximité. Le transport des marchandises étant compliqué et par conséquent onéreux, l’intérêt à utiliser les ressources locales s’est imposé pour la construction des centres anciens. Le bâti a donc pour première qualité la richesse de ces matériaux qui sont les témoins de filières et de savoir-faire propres à un territoire. Il est une composante d’un paysage qui s’étend bien au-delà des limites construites de la ville : carrières de pierre ou de minerai, sylviculture, agriculture (chanvre, paille…) pour la matière première et scieries, tuileries, forges… pour les matières transformées.
La logique constructive pour une économie des ressources et de l’énergie se retrouve à l’échelle de l’îlot, de la parcelle, de l’immeuble et enfin du logement.
a) La mitoyenneté
La première économie de matière et d’énergie intervient dans la disposition des bâtiments les uns par rapport aux autres. La situation de mitoyenneté a permis à l’époque de la construction des villes d’optimiser les ressources et la consommation d’énergie en mutualisant la moitié des parois de chaque immeuble.
b) Les cours intérieures
Sur les parcelles du centre ancien, la densité du bâti est très importante. L’apport de lumière au centre est géré par l’aménagement de cours intérieures qui concentrent les usages domestiques et permettent la desserte des logements. Souvent ombragées, elles participent à la climatisation des logements sur l’arrière par la circulation de flux d’air frais.
Certaines pouvant être plantées, elles deviennent de véritables îlots de fraîcheur pour les immeubles qui lui sont contigus.
c) Les hauts combles
Les grandes toitures en tuiles plates caractéristiques de la Bourgogne-Franche-Comté constituent non seulement des greniers pour le stockage, mais également des zones tampons, entre l’extérieur et l’intérieur des logements. Correctement ventilés, ils permettent de réguler les écarts de température particulièrement importants en climat continental – hivers rigoureux et étés chauds, voire caniculaires ces dernières années.
d) Les caves
On retrouve le pendant des combles en sous-sol avec l’aménagement de caves dont disposent la plupart des immeubles de centres anciens. Ces volumes enterrés ou semi-enterrés régulent la température et l’humidité en limitant le contact direct du sol avec les volumes chauffés. Les systèmes de ventilation naturelle par soupiraux doivent rester ouverts et en état pour garantir la salubrité des maçonneries et un bon équilibre hygrothermique.
e) Les dessertes
Particulièrement représentés à Besançon, les escaliers et coursives extérieurs sont des dispositifs de desserte fonctionnels et qualitatifs. Ils occupent généralement les cours intérieures et permettent de desservir les logements de plusieurs bâtiments tout en étant parfaitement éclairés. Pour les cages d’escaliers intégrées à l’immeuble, elles disposent quant à elles d’un éclairement naturel au niveau des paliers ou en partie zénithale. Ce sont des espaces pouvant être ventilés et qui participent au confort d’été par la circulation d’air à l’intérieur de l’immeuble. Les portes palières équipées d’impostes ouvrantes participent au flux d’air et garantissent la ventilation nocturne et sécurisée des logements en période de surchauffe estivale.
L’intérieur des logements
a) Logique constructive
Les parois verticales sont réalisées en maçonnerie ou en pan de bois (bien que ce dernier mode constructif se raréfie à partir du XVIe siècle). L’épaisseur des murs pour ces deux types de mises en œuvre permet d’obtenir une bonne inertie des parois pour un déphasage des températures : les murs encaissent la chaleur accumulée en journée qu’ils restituent progressivement pendant la nuit et inversement, la fraîcheur de la nuit est restituée en journée. L’épaisseur des murs de refends permet d’y aménager les conduits de cheminée, mais également des niches et des placards encastrés. À l’intérieur, les renfoncements ainsi créés permettent de placer judicieusement les radiateurs sans qu’ils empiètent sur la surface de la pièce. Au droit des menuiseries, l’épaisseur des parois est plus faible car elle répond à une logique structurelle : alléger le mur sous les baies pour diminuer le poids repris par les linteaux à chaque niveau. Les embrasures souvent doublées de panneaux bois permettent d’y loger des volets bois intérieurs qui limitent les déperditions de chaleur au niveau des menuiseries.
Il est à noter que la majorité du bâti des centres anciens est antérieure à l’arrivée de l’électricité dans les logements. La construction est donc optimisée afin de permettre de gérer au mieux l’apport de lumière naturelle et l’économie d’énergie.
b) Les espaces intérieurs
La générosité des volumes de nombreux logements de centres anciens et leur double orientation sur rue et sur cour les rendent propices aux transformations ou réorganisations.
La hauteur des menuiseries permet une diffusion de la lumière naturelle dans les différentes pièces de vie. Généralement de plain-pied, elles ouvrent le logement sur un balcon ou balconnet permettant d’agrandir l’espace intérieur. À l’inverse, les zones nécessitant peu de lumière sont situées en profondeur du bâtiment, c’est pourquoi les alcôves accueillant le lit se trouvent la plupart du temps au centre du logement, à l’endroit le plus sombre et le plus chaud.
c) Les décors
Le principe d’une construction qui tient compte du confort thermique se retrouve jusque dans le type de décors : les boiseries qui habillent l’intérieur des logements participent au confort thermique des intérieurs en évitant la sensation de paroi froide et en coupant les courants d’air. En effet, le bois, et notamment les résineux, sont des correcteurs thermiques qui permettent de gérer les fuites d’air ou de calories au niveau des jonctions des planchers aux murs sous la forme de plinthes, de cimaises ou de moulures au plafond. La déperdition de chaleur au niveau des menuiseries est tempérée par des volets bois intérieurs.
Caractéristiques thermiques des bâtis anciens
De par les matériaux et les modes de construction qui les caractérisent, les bâtis anciens possèdent des caractéristiques thermiques intrinsèques. Tout d’abord, il est important de souligner que ces types de constructions ne sont pas des passoires thermiques. En effet, les logiciels actuels ne permettent pas de connaître avec certitude les comportements dynamiques de ces bâtis.
Pourquoi cette performance ? Le bâti ancien bénéficie d’une intelligence vernaculaire et d’un savoir-faire bioclimatique dans sa conception. L’orientation du bâti, mais aussi la composition et l’orientation des pièces sont réfléchies afin d’optimiser la performance thermique et le confort des habitants. Cela est dû à l’épaisseur des murs, à la présence d’espaces tampons, et à l’intelligence mise en œuvre lors de la conception.
Aujourd’hui, la logique de conception contemporaine de performance thermique est celle d’une « boîte Thermos », c’est-à-dire un bâtiment isolé et étanche à l’air, afin de limiter les déperditions de chaleur et donc réduire la consommation énergétique liée au chauffage.
Cette conception s’oppose diamétralement à la logique du bâti ancien. Ces derniers sont caractérisés par leur faible étanchéité à l’air, ce qui entraîne des déperditions de chaleur importantes, et garanti le fonctionnement dynamique de l’humidité (alternance des périodes de séchage et des périodes d’absorption). Enfin, la présence de matériaux géosourcés permet une excellente inertie.
Points de vigilance
La transformation d’un logement dans le bâti ancien nécessite une adaptation vigilante du projet face aux dispositions existantes. Une réhabilitation inadaptée pourra nuire à moyen terme ou à long terme à l’état sanitaire du bâtiment et donc du logement. L’apport d’humidité avec l’activité quotidienne (pièces humides) couplée à une mauvaise ventilation constitue par exemple une source importante de désordres. Le couvrement des matériaux anciens perspirants par des matériaux modernes étanches participe à l’altération du bâtiment existant (humidité retenue dans les murs, apparition de salpêtre, remontées de sels, dégradation des maçonneries). La coupure des flux de ventilation naturelle avec le comblement des soupiraux des caves d’une part et la fermeture des vasistas et chatières en toiture d’autre part provoquent également l’accumulation d’humidité.
Un autre point de vigilance possible à l’échelle de la parcelle passe par la densification des parcelles avec l’aménagement des combles en appartement ou l’obstruction des cours intérieures qui entraînent une mauvaise circulation des flux d’air dans l’immeuble.
La rénovation des centres anciens doit être envisagée dans une démarche au cas par cas, selon l’orientation et les modes constructifs du logement. Il est possible d’intervenir à différentes échelles, de l’appartement à l’immeuble ou même l’îlot dans lequel il s’inscrit. Il s’agit de tirer parti des dispositions existantes pour en extraire les mesures d’intervention appropriées.
Marie Tasse & Stéphanie Honnert
Stéphanie Honnert – Architecte du patrimoine